Alaric and Christian

Cette nuit là, comme cinq nuits sur sept, Alaric travaillait au bar du Nymphea Kingdom, le grand casino de la ville de Centralia. A vrai dire, barman n'était pas sa vocation de base. Il fallait être sociable, aimer parler aux gens, tout ce qu'Alaric détestait.  Mais malheureusement, l'établissement était le seul endroit ouvert durant la nuit. Alaric étant un loup insomniaque, il avait préféré utilisé ce temps à gagner de l'argent supplémentaire, car son travail en tant qu'antiquaire le jour ne rapportait pas des milles et des cent, plutôt que de passer ses nuits à rester dans son lit sans rien faire, à chercher le sommeil. Il était donc devenu barman un peu malgré lui. Le poste n'avait pas été très difficile à obtenir, même sans expérience dans le métier : quasiment personne n'était assez fou pour oser travailler de nuit à Centralia. Tout le monde savait qu'après le couvre-feu, il était trop dangereux de sortir de chez soi.

Ainsi donc, Alaric travaillait cette nuit là, sans grand enthousiasme. Extérieurement il semblait être comme d'habitude : impassible, le visage fermé et ne laissant transparaître aucune émotion mis à part un air profondément blasé. Mais intérieurement il était au plus mal. Cela faisait quelques semaines déjà que son petit ami, Christian, avait rompu avec lui. Mais il ne s'en remettait toujours pas. Il n'avait jamais ressenti une telle douleur que le jour où ce dernier lui avait annoncé qu'il était tombé amoureux d'un autre homme, un sorcier qui se trouvait à l’hôpital apparemment. Alaric avait compris son choix, et l'avait respecté. Après tout cela ne l'avait pas vraiment étonné. Jamais une personne comme Christian n'aurait pu rester très longtemps avec quelqu'un comme lui : un homme peu musclé et sans force physique, loin des canons de beauté hollywoodien, pauvre, associable qui préférait la compagnie des livres à celle des gens et qui avait tout le temps l'air de faire la gueule.

Un raté.

Christian méritait quelqu'un de mieux.

Alaric n'avait pas eu beaucoup de relation amoureuses dans sa vie. Deux ou trois, peut être. A vrai dire il ne savait pas trop, car depuis qu'il était a Centralia sa mémoire lui jouait des tours. Certains moments de sa vie étaient flous. Il savait qu'il était français, cela s'entendait à son accent. Il savait que son père était mort, qu'il avait une mère et une sœur. Il savait qu'il avait été brutalisé durant une bonne partie de sa scolarité. Mais il ne savait plus comment il était arrivé à Centralia, ni  pourquoi il y était venu... Il savait juste qu'il s'y sentait relativement bien... Jusqu'à dernièrement. Enfin bref, sa relation avec Christian était, il en était certain,  sa relation la plus intense, et sans doute la plus inoubliable. M^même si il aurait tout donné pour l'oublier.

Non, cela ne l'avait pas étonné quand Christian lui avait dit qu'il le quittait. Il avait affiché son habituel air blasé, avait simplement dit "Ah. Très bien, je comprend. Bonne continuation.", et avait tourné les talons aussi vite que ses longues brindilles qui lui servaient de jambes le pouvaient. Mais ce n'était pas pour cela qu'il n'en avait pas souffert. Il avait eu encore plus mal que lors de sa première transformation en loup. Il avait pleuré dès qu'il avait été assez loin des regards. Et depuis, il s'évertuait à éviter au maximum la cause de ses soucis. Car non seulement la rupture avait été douloureuse, mais en plus Christian ne semblait pas vouloir le lâcher. Comme si il le narguait, pour le torturer un peu plus. Ou bien sans doute qu'il lui faisait un peu pitié...

Alaric soupira silencieusement tout en servant ses clients déjà bien alcoolisés.... Avant que son regard ne tombe sur une silhouette mince aux beaux cheveux blonds.

Non.

Ce n'était pas possible.

Il n'avait pas fait ça.

Il n'avait quand même pas osé venir sur son lieu de travail.

Pourtant c'était bien lui. C'était bien Christian. Il l'aurait reconnu entre mille.

Alaric fut si déstabilisé qu'il en fit tomber un verre. Celui-ci se brisa en plusieurs morceaux. Cet incident donna au moins une excuse au loup pour plonger sous le bar, à l'abris des regard, afin de ramasser les morceaux tranchants. Il était dans un tel état qu'il s'entailla un peu le doigt. Il grogna de douleur en pestant et en réfléchissant. Pour le coup, il ne pouvait pas s'enfuir de son lieu de travaille pour échapper à son ex. Il ne pouvait pas non plus rester caché sous le bar tout le reste de la nuit.

Il n'eut donc pas d'autre choix que de réapparaître dès qu'il eut fini de ramasser tous les débris de verre, en espérant très fort que Chrstian était parti.  

Alaric ne s'attendait clairement pas à se retrouver à quelques centimètres du visages de Christian en se relevant. Ainsi il poussa un petit cris de surprise en reculant un peu, avant de froncer les sourcils en regardant Christian. Ses longs cheveux blonds, ses yeux clairs, ce corps élancé... encore plus avec ses hauts talons... Christian était fidèle à lui-même, toujours un style impeccable et envoûtant.

Alaric eut un petit pincement au coeur en pensant cela. Il était toujours amoureux du blond, il ne pouvait pas le nier. Et cela le torturait de le voir à la fois aussi près et aussi loin de lui. Il aurait bien voulu fuir, comme d'habitude, mais cette fois-ci il ne pouvait pas. Il était coincé derrière son bar pendant encore quelques heures. Et malheureusement, il y avait peu de clients réclamant de la boisson ce soir-là. Il n'avait donc pas d'excuses pour se détourner de son tortionnaire.

"Tch... Le verre m'a échappé des mains..  Tu crois vraiment que je m'amuse à jeter le mobilier par terre? Et je n'avais même pas remarqué que tu étais la, mentit le loup-garou. D'ailleurs qu'est-ce que tu viens faire ici? Je sers de l'alcool, pas du sang au cas où tu n'aurais pas remarqué. Tu ferais mieux de partir, tu n'as rien à faire là."

Alaric avait mis les débris de verre à la poubelle, et s'était ensuite détourné de Christian pour être face aux étagères remplies de verres et de bouteilles d'alcool. Lui tourner le dos n'était néanmoins pas un réconfort, car il sentait toujours le regard du blond sur lui et ça le perturbait. Il essayait de paraître très occupé, même si c'était dur car sans clients il n'avait rien à faire. Il soupira un peu avant de tourner vivement la tête vers Christian. Son odorat sensible avait détecté une odeur reconnaissable entre milles. Celle du sang.

En regardant Christian plus attentivement, il remarqua une petite tâche rouge sur sa chemise blanche. La tâche devait sans doute être plus étendue, mais le blond la cachait en grande partie. Cet idiot s'était blessé, encore une fois. Et tout ça pour venir le voir....

Alaric se mordit un peu la lèvre. Non, ce n'était pas son problème si son ex s'était blessé. Il avait qu'à faire attention. Ce n'était plus son rôle désormais de prendre soin de lui. Il n'avait qu'à demander à son nouveau mec d'utiliser ses grosses mains pour le soigner. Lui, il n'en ferait rien.

Il devait arrêter de jouer les bons samaritains avec les autres, et avec Christian en particulier. Ça ne servait à rien d'être gentil et attentionné puisque à la fin les gens se détournaient pour aller s'intéresser à des "monsieurs muscles". Il devait arrêter d'être "trop bon trop bon" comme on disait en France. Il devait devenir égoïste, ne plus se soucier des autres et ne s'occuper que de ses affaires.

Voilà.

Du moins Alaric aurait aimé être comme ça. Mais c'était plus fort que lui.

" ... Qu'est-ce que tu t'es fais? Tu t'es ENCORE blessé?"

Alaric soupira doucement. Voilà, il se mêlait encore de ce qui ne le regardait pas au lieu de jouer la carte de l'indifférence. Et il savait qu'il le regretterait par la suite.

Le loup-garou haussa un sourcil en voyant le rictus de Chrstian... Allons bon, en plus de ça il s'amusait à ses dépends. Qu'avait-il donc fait pour mériter pareil châtiment? Il avait sans doute dû commettre un horrible crime durant son ancienne vie qu'il avait en partie oublié. C'était la seule explication qu'il trouvait pour expliquer son malheur.

"Répondu...? Oh, parce que tu as essayé de m'envoyer des messages? Désolé j'étais pas au courant. J'aurai pas pu l'être étant donné que j'ai bloqué ton numéro. C'est bête...."

Alaric avait dit cela sur son habituel ton sec. Bien sûr, il n'avait pas vraiment bloqué le numéro de Christian. Il avait même lu les messages qu'il lui avait envoyé. Plusieurs fois. Affalé dans son canapé. En pleurant et en mangeant de la glace au chocolat brownie, celle avec carrément de gros morceaux de brownies dedans. il avait englouti le pot maxi format en une nuit. Le tout en regardant des films d'une tristesse sans nom qui donnaient envie de se flinguer. Comme une ado de 16 ans en pleine peine de cœur... Oui, il était faible. Mais malheureusement, il était également insomniaque et il fallait bien qu'il s'occupe durant ses nuits éveillée. Il n'avait pas la chance de pouvoir se plonger de longues heures dans un sommeil tranquille qui lui permettrait d'oublier l'espace de quelques temps ses soucies. Quand il arrivait à dormir plus de deux heures d'affilées, c'était un miracle.

Enfin bref, sa stratégie était donc désormais de se montrer infect et désagréable envers le blond. Ainsi il le laisserait peut-être tranquille. Il attrapa une bouteille de champagne, ainsi qu'une flûte de champagne et lui versa le liquide dans le verre avant de lui tendre en posant la bouteille sur le comptoir. Lui et ses goûts de luxe.... Une bouteille de champagne... Elle valait presque une nuit de son salaire, cette bouteille. Il n'était pas un Bathory pour rien. Il prit le billet et le mit dans sa caisse, tout en remarquant les traits serrés de son ex. Il semblait avoir vraiment mal...

Il fut tiré de ses pensées en se rendant compte que Christian était en train de le tirer dans la réserve. Allons bon ! Voilà, les ennuis commençaient. Si son patron voyait qu'il négligeait ses clients et avait déserté son poste pour aller dans la réserve avec un magnifique client, il serait viré à coup sûr. En même temps il ne pouvait s'en prendre qu'à lui même. C'est ce qu'on récoltait à se mêler de ce qui ne nous regardait pas. Il soupira en jetant un coup d’œil à la blessure de Christian. Voir sa peau nue réveillait en lui des instincts qu'il préférait refouler, et il détourna le regard pour aller récupérer ce qu'il lui demandait.

"Par contre j'espère que t'as l'intention de payer le whisky que tu vas utiliser. C'est un whisky de première qualité, dit il en lui donnant le tout, en le regardant. Merci... C'est gentil. On en a plus que besoin ces temps-ci."

Le regard d'Alaric s'était assombri. Les temps étaient durs pour les rebelles.  Il soupira doucement. C'était ce qui l'avait fait tombé amoureux de Christian, sa profonde empathie et son besoin d'aider les gens. Il avait rarement rencontré quelqu'un d'aussi généreux, et surtout qui se donnait autant à fond dans son travaille de médecin. Cela l'impressionnait toujours autant.

"A vrai dire, il y a un loup-garou de notre meute qui s'est fait blessé par un chasseur... Une balle en argent évidemment, soupira t'il."

Il détourna le regard en voyant Christian à l'oeuvre. Il détestait la souffrance, et n'était pas non plus fan de la vue du sang et des plaies. Lui, il n'aurait jamais pu être médecin c'était sûr. Il n'aimait pas voir les autres souffrir, cela lui soulevait le coeur. Il était encore plus attristé lorsqu'il s'agissait de quelqu'un qu'il appréciait. Il regarda ensuite le blond quand il réclama du sang, avant d'aller en chercher dans un frigo au fond de la réserve. Bien sûr qu'ils avaient du sang. Le bar était habilité à servir tous les clients, même les vampires en quête d'hémoglobine.

"Tu veux quoi? A? B? AB? O peut-être....? C'est pareil, ça faudra le payer hein."

Le brun fouillait dans le frigo. Il y en avait pour tous les goûts.

Il aurait pu proposer à Christian de prendre son sang, comme au bon vieux temps. Il savait que le blond préférait "prélever directement à la source", c'était meilleur selon lui du sang bien frais et encore chaud. Mais il ne préférait pas. Il savait l'effet que sa morsure produisait sur lui. Il ne le supporterait pas.

Alaric eut une légère grimace en entendant Christian. Merde... Trahis par la technologie.... C'est pour ça qu'il n'était pas extrêmement fan des nouvelles technologies. Bien sûr, il les utilisait comme tout le monde. Il avait un ordinateur, un téléphone, la télé, et même les réseaux sociaux. Mais il s'en méfiait quand même un peu, et les utilisait avec prudence.

"Un accusé de lecture....? Euh... Ah mais bien sûr que si je le savais...., dit il en détournant le regard d'un air mal à l'aise. Tch très bien c'est bon ça va ! Je les ai lus tes messages ! Mais je n'y ai pas répondu parce que en effet j'essaye tant bien que mal de t'éviter Christian, mais dès que je ferme une porte tu débarques par une fenêtre !  Et n'essaye pas de faire le surprit ! C'est quelque chose de logique, tu sais, le fait d'éviter son ex ! Toi tu t'es peut-être vachement bien remis de notre rupture, et ça te plait peut-être d'agir comme si rien ne s'était passé, mais moi ce n'est pas mon cas, je n'y arrive pas ! Ça me fait du mal de te voir, et chaque message que tu m'envoies est comme un nouveau coup de couteau dans le cœur ! Pourquoi tu fais ça?! Ça t'amuses de me torturer?!"

Alaric se mordit la lèvre en enfonçant ses ongles dans les paumes de ses mains. Il ne voulait pas s'énerver devant Christian, encore moins pleurer devant lui, et il ne voulait surtout pas que ses mots dépassent ses pensées. Mais en même temps le blond voulait de l'honnêteté alors il allait être servi...

ils n'avaient pas eu l'occasion de beaucoup discuter lors de la rupture, étant donné qu'Alaric s'était enfuis en courant. Il avait beaucoup de choses sur le cœur, mais c'était de sa faute car il avait tout garder pour lui, il en avait conscience. Il avait déjà déballé son sac devant Mitch, qui l'avait beaucoup réconforté, mais le dire en face de Christian ce n'était pas la même chose. C'était à la fois une libération et un coup de poing dans l'estomac.

D'un autre côté, il espérait faire réagir Christian. Il était vraiment en colère de voir que la rupture ne semblait rien lui faire. Qu'il ne souffrait pas, et qu'il s'en remettait aussi bien. Comme si il ne l'avait jamais vraiment aimé. Il se sentait mal d'être le seul à souffrir de la fin de leur histoire. On disait souvent que dans un couple, il y en avait toujours un qui aimait le plus. Visiblement cette fois-ci ça avait été lui. Plus jamais ça ne serait le cas.

Il avait regardé Christian boire son champagne à même le goulot et eut l'air encore plus contrarié. Franchement, boire une telle bouteille au goulot... Mais quel affront... Aucune manière celui-là.

"Enfin bref, reprit le brun en soupirant. Tu fais ce que tu as a faire ici et ensuite tu t'en vas..."

Il avait prit le billet de Christian et était rapidement allé chercher la monnaie qu'il lui devait. Il ne comptait pas accepter un quelconque pourboire de sa part. Il n'avait pas envie de lui devoir quoique ce soit. Il lui donna la monnaie ainsi que sa poche de sang, le regardant boire.

Comment un vampire et un loup-garou, deux créatures qui n'étaient pas censées trop s'entendre, avaient pu devenir aussi proches? Il l'ignorait. Leur relation s'était faite comme ça, comme une évidence. Puis elle s'était arrêtée tout aussi rapidement.

"Voilà ton AB tout frais. Et non c'est vrai je ne t'ai jamais vu partir sans payer, répondit Alaric, satisfait de voir qu'il était agacé par ses réflexions... au moins il ne serait pas le seul à être énervé cette nuit là. Ne t'en fais pas c'est déjà très bien. On va pouvoir aider pas mal de monde avec ça. Merci beaucoup... Tu n'auras qu'à passer voir la souffrante dans la semaine, en soirée après ton travail par exemple... Eros et Samael seront là pour t'accueillir...Bon je vais te laisser déguster ton jus, je vais retourner derrière le bar... Jette la poche et pars quand tu auras fini...."


Alaric avait fini par détourner le regard et tourner les talons pour retourner à son poste, derrière le bar. Il n'avait pas envie de rester seul avec Christian plus longtemps. Il avait proposé cet horaire tardif pour être sûr que, lorsque Christian passerait à la cachette des rebelles, lui-même serait soit au travail soit chez lui. Ainsi il n'aurait pas à le croiser une nouvelle fois.

Le loup-garou regardait Christian en écoutant sa réponse, et soupira profondément en essayant de se calmer. C'est vrai, après tout ça ne servait à rien de s'énerver... Bien entendu, Christian ne comprenait pas. Il n'avait jamais été humain après tout, donc il ne pouvait pas comprendre des choses qu'il n'avait jamais ressenti. C'est sans doute pour ça qu'au final, sur le long terme, leur couple n'aurait pas fonctionné. Contrairement aux apparences, Alaric était émotif, et il avait besoin de quelqu'un qui le comprenne.

"Tch. Je me doute bien que ce n'était pas ton intention Christian. Mais le fait est que je t'aime encore, et que ça ne me fait pas du bien de te voir traîner autour de moi.... ça me fait espérer pour rien. On ne redevient pas ami avec ses ex chez les personnes normales, ou en tout cas c'est rare. Je ne dis pas que je ne redeviendrais jamais ami avec toi, mais là pour l'instant c'est trop tôt. Beaucoup trop tôt, soupira Alaric avant de grimacer en entendant le nom de Dagmar. Et ouai, j'aime pas ton nouveau copain, il m'insupporte."

Alaric grogna un peu. Il détestait en effet Dagmar, car il représentait tout ce qu'il n'aimait pas : un bel homme blond, grand, musclé et en plus de ça souriant, sympathique et populaire... Sans doute le genre de gars sans cervelle qui tapait sur les garçons un peu plus intellectuels durant sa scolarité.... Alaric savait qu'en fait Dagmar n'était pas comme ça. Il avait même été sympa et poli les quelques fois où ils s'étaient croisés. Mais c'était plus facile de l'imaginer en tant que méchant voleur de petit copain et de le détester. Même si Dagmar, ou même Christian, n'y étaient pour rien dans l’histoire. Les sentiments, ça ne se contrôlait pas... que ce soit l'amour ou la colère.

Alaric était en train de partir et s'arrêta en entendant Christian et soupira en levant les yeux au ciel. Bien entendu, les seules disponibilités de Christian étaient également les siennes... Evidemment qu'il ne pouvait pas lui demander de dire non à de pauvres enfants souffrants juste parce qu'il ne voulait pas le croiser. Ils allaient donc être obligés de se voir encore souvent. Encore une fois, il se demanda ce qu'il avait bien pu faire pour mériter tout ça.

"Bon bon ça va très bien ! J'ai compris ! Dans ce cas tu n'auras qu'à venir tôt le matin, je viendrais t'accueillir après mon service au bar... Et si, la souffrante c'est bien Rochel..."

Alaric grinça un peu des dents en prononçant le prénom de son insupportable colocataire. En acceptant la sœur de Samaël en tant que colocataire, il n'imaginait pas que sa vie allait devenir encore plus compliqué. Alaric imaginait que, comme il était devenu un loup assez récemment, il était encore "jeune" et incontrôlable et que par conséquent Samaël avait dû penser que, comme il vivait à l'écart des rebelles, ce serait une bonne chose qu'il soit tout de même surveillé par un loup plus âgé. Mais jamais Alaric n'aurait imaginé que la sœur de son alpha pouvait être aussi immature.

Il se pinça l'arrête du nez rien qu'à l'imaginer affalée sur le canapé à jouer à sa console ou à pleurer devant une comédie romantique, et activant son moulin à parole incessant qui lui servait de bouche dès qu'il franchissait la porte de leur appartement. Mais il était néanmoins inquiet de son état de santé. Malgré tout, au fond, tout au fond de lui il l'appréciait... De plus, il se sentait coupable de son état. Et puis sa rupture avec Christian l'avait un peu rapproché d'elle. Maintenant, ils regardaient souvent les comédies romantique ensemble en pleurant.

"Normalement elle ne sort pratiquement jamais c'est vrai, mais là elle m'avait demandé d'aller lui acheter un jeu vidéo qui venait de sortir, et je lui ais dit que je n'avais pas le temps de m'en occuper et qu'elle devait y aller elle-même... Malheureusement j'imagine qu'elle a dû se perdre en route ou quelque chose comme ça, et elle est tombée sur un chasseur... Enfin bref, à plus..."

Alaric se remis en place derrière son bar... Avant d'assister à l'échange entre Christian et le client malpoli. Il écarquilla les yeux en voyant la mine de Christian. Il savait que, quand il était aussi calme, c'était mauvais signe. Il n'avait franchement pas envie de que Christian taille en pièce l'un de ses clients au plein milieu du bar. Le sang, c'était trop chiant à nettoyer. Et en plus il aurait moins de pourboire.

Alaric sauta donc par dessus le bar et vint derrière Christian en posant sa main sur son épaule pour l'arrêter et lui signifier de se calmer, avant de regarder le client en haussant un sourcil.

"Excusez moi monsieur, j'ai assisté malgré moi à votre échange fort sympathique et j'ai décidé de venir y participer moi aussi. Je tenais à vous dire que la politesse et la courtoisie envers le personnel mais également envers les autres clients sont de rigueur dans notre établissement, sans quoi je serais obligé d'appeler la sécurité afin qu'on vous mette gentiment dehors, là où vous vous ferez dépecer vivant par les monstres de dehors. De plus, je tenais à préciser que si vous avez quelque chose contre les "pédales", comme vous dites, alors je vous invite à aller vous faire servir ailleurs car j'en suis moi-même une. Eh oui, pas besoin de chaussure à talons pour forniquer avec d'autres homme, on est partout décidément, hein? Maintenant vous allez présenter vos excuses à la magnifique personne que vous venez d'insulter, mais également à tout la communauté LGBT, et ensuite vous rentrerez tranquillement chez vous pour faire un gros dodo parce que vous semblez avoir déjà bien assez bu."

Alaric regardait le client, les bras croisés. Il était furieux qu'à cette époque l'homophobie existe encore. Malheureusement, les humains n'évoluaient pas beaucoup.

Alaric fronça les sourcils lorsque Christian dit qu'il avait une réaction d'enfant. Il était vrai qu'Alaric avait parfois des réactions un peu gamine voire immatures, comme par exemple le fait d'en vouloir toujours à Mitch d'avoir été un traître alors qu'il s'était depuis rattrapé depuis. Il savait également que ce n'était pas bien de juger sans connaître, lui-même avait déjà fait plein de fois les frais de ce genre de jugement. Mais bon sa réaction n'était quand même pas si inapproprié que ça quand même. Après tout c'était son rival en amour, il n'allait pas non plus l'accueillir avec la bise, les accolades ou même les tchecks en disant "salut mon poto ! Bien ou bien??" dès qu'il le croisait. La jalousie était une réaction normale dans ce genre de situation. Mais ça bien sûr Christian ne le comprenait pas non plis.

"C'est ton mec qui est un enfant.... Il a une capacité de concentration à peu près égale à celle d'un chiot de 2 mois..., grogna Alaric en levant les yeux au ciel. Enfin bref...."

Alaric soupira un peu lorsque Christian lui dit que se n'était pas sa faute si Rochel s'était blessée. Pourtant il n'arrivait pas à se débarrasser de ce sentiment de culpabilité. Certes sa colocataire était un peu agaçante, voire carrément lourde, mais il pouvait être parfois un peu dur avec elle. Surtout lorsqu'il rentrait d'une nuit de travail épuisante.

Alaric avait toujours la main sur l'épaule de Christian. Il avait bien fait d'intervenir rapidement. Il sentait que le blond était tendu. Si il n'avait rien fait, l'histoire se serait certainement terminée en bain de sang. Et bagarre dans le bar rimait souvent avec pas de pourboire.

Le loup-garou fut soulagé que l'homme parte sans faire d'histoire. Si il en était venu aux mains, il n'aurait pas été capable de faire quoique ce soit. La bagarre n'était pas son fort. Il souffla profondément et regarda Christian. Eh oui, il l'avait encore fait. Il s'était encore une fois mêlé de ce qui ne le regardait pas. Il était encore une fois venu à la rescousse de Christian et l'avait défendu alors qu'il s'était promis de ne plus rien faire pour le blond. Il se maudit intérieurement : diantre ! Quand donc arrêterait-il d'agir comme ça, et commencerait-il à être un peu plus égoïste et centré sur lui-même?

"Y'a pas de merci qui tienne.... Je l'ai pas fait pour toi, grommela t'il. Je l'ai fais parce que je n'avais pas envie d'avoir à nettoyer le sang, les tripes et les boyaux de cet homme que tu te serais fait une joie d'éparpiller partout.... Je te connais, tu peux être un vrai sauvage quand tu t'y met...."


Alaric grimaça à la simple pensée de sang et de tripes éparpillés partout. Non, vraiment, le gore ce n'était absolument pas son délire. Il avait envie de vomir rien que d'y penser. Dire que pour les beaux yeux de ce garçon il avait accepté de subir des rituels impliquant justement du sang et d'autres choses un peu dégueu.... Il frissonna un peu. Si il avait su... Il s'était bien foutu de lui. Trop bon trop con, Alaric, trop bon trop con....

Alaric haussa un sourcil. A vrai dire il ignorait ce qu'était un gémeaux. Le monde du surnaturel était tout de même assez récent pour lui, donc certaines espèces étaient encore un peu floues pour lui. Mais il n'avait aucune envie de demander à Christian ce qu'était un gémeaux. Il n'avait surtout pas envie de montrer le moindre signe d'intérêt pour Dagmar et de continuer à parler de celui qui avait ravi le cœur de la personne qu'il aimait. Que Christian vienne le voir c'était une chose, mais qu'il passe son temps à vanter les mérites de son nouveau mecs devant lui, c'était un peu trop. L'achever avec un coup de couteau en plein coeur était été nettement plus rapide et agréable.

"Je n'ai pas besoin de ta protection Christian. Occupes toi de ton copain et ne te soucis pas de moi, je m'en sors très bien tout seul."

Alaric soupira doucement. Il voyait que Chrstian avait mal, mais il ne pouvait pas faire grande chose de plus pour lui. Et il voyait qu'il était irritable. Tout comme lui l'était. Cela ne servait donc à rien de discuter dans cet état d'esprit... ça ne les mènerait nul par, à part à sortir des réflexions qui dépasseraient leurs pensées. Cela aurait été contre-productif... Ainsi il n'ajouta rien.

Il se contenta de grogner un peu alors que son regard s'assombrit lorsque Christian évoqua ses parties de chasse. Il n'aimait pas parler de ça, parce qu'il n'aimait pas particulièrement ce qu'il était devenu. Avant d'être transformé en loup-garou, il était végétarien. Le fait de devoir chasser, tuer et se nourrir de viande encore crue avait donc été assez difficile pour lui à assimiler. Même lorsqu'il était sous sa forme humaine, il avait désormais du mal à se passer de viande. Il avait du balayer ses principes pour cette nouvelle nature, et il avait encore du mal à l'assumer.

Jusque là, il avait réussi à ne pas blesser d'être humain sous sa forme de loup... Du moins jusqu'à la dernière manifestation des rebelles, qui avait beaucoup trop dégénéré... Durant celle-ci il avait pour la première fois de son existence ôté la vie de plusieurs policiers et en avait même dévoré quelques uns. Il avait dit qu'il serait prêt à tout pour les rebelles, mais il ne pensait pas un jour en arriver à un acte de cannibalisme... Il pâlit un peu au souvenir de son réveil alors qu'il était nu et couvert de sang, et frissonna d'horreur. Ne plus penser à ça sinon il allait vomir....

Depuis qu'il était arrivé dans cette ville maudite, il avait dû abandonner bon nombre de ces principes... Et il n'aimait pas beaucoup ce qu'il était en train de devenir. Un garçon aigri et désagréable qui avait été poussé à tuer. Il critiquait, mais le pire de tous c'était bien lui. Pas étonnant que ses insomnies étaient de plus en plus longues. Comment pourrait-il arriver à dormir dans de telles circonstances.

Il regarda Christian, l'air blessé lorsqu'il repoussa brutalement sa main. Il n'avait pas pensé que son contact puisse désormais autant le répugner. Mais c'était ainsi maintenant, il n'était plus à lui. Il ne pouvait plus poser la main sur lui.

Il se tient la main en lui regardant se diriger vers la porte. Au moins il avait réussi ce qu'il voulait tant. Il avait fait fuir l'une des seule personne qui comptait pour lui. Il avait pensé que cela lui ferait du bien, mais en fait c'était encore pire.

Quel idiot.

Pourquoi était-ce donc si long et difficile de nouer des liens avec une personne, mais en revanche si facile et rapide de les détruire? Les relations humaines, c'était vraiment pas pour lui.

Il fut tenté de retenir Christian mais se ravisa finalement. Il retourna derrière son bar, et s'affala dessus, la tête entre les bras et le moral dans les chaussettes. Il jeta un coup d’œil à sa montre en soupirant. Il lui restait encore quelques heures avant de débaucher. Il n'avait qu'une seule envie : rentrer chez lui et regarder Dirty Dancing avec Rochel sous un plaid en mangeant de la glace en pleurant. Cela pouvait paraître stupide, mais mine de rien ça faisait énormément de bien. C'était Rochel qui l'avait initié au combo glace-plaid-comédie romantique à deux balles, un bon moyen d'extérioriser ses sentiments et de se remettre de la rupture. En tout cas, à l'heure actuelle, il n'avait pas trouvé de meilleur remède contre sa peine de coeur.

Sauf que Rochel était blessée et qu'elle ne serait pas disponible pour lui pour l'instant.